Syn régla la note pour sa bière et quitta le pub. D’une certaine manière, faire l’amour dans un ascenseur ne le tentait plus désormais. S’il devait être honnête, les femmes en général le faisaient rarement. Il avait toujours eu le sentiment qu’elles étaient plus une distraction qu’autre chose et il avait très peu de temps pour ça, préférant se concentrer sur sa carrière. Syn scruta la rue à droite et à gauche, sur le point de traverser pour rejoindre son immeuble, lorsqu’une silhouette familière attira son œil, juste à un demi-bloc de là.
Furious. C’est ainsi que l’homme dans le pub l’a appelé. Nom intéressant.
Syn fit un détour et s’engagea dans cette direction. Son corps ignorait totalement ce que son cerveau hurlait. Il lui ressemble, tout simplement… ce n’est pas lui. Syn avançait lentement, Furious n’irait nulle part, puisque, apparemment, il attendait le bus. Il vit un nuage de fumée émerger de ses lèvres pleines et roses. C’était une sale habitude, mais étrangement, Furious faisait en sorte que cela paraisse sexy. Syn n’était plus qu’à quelques pas lorsqu’il remarqua que Furious avait des écouteurs dans ses oreilles, les mains plongées dans les poches de sa veste, la tête baissée et que tous ses cheveux tombaient devant son beau visage.
Magnifique visage. Syn le vit éloigner la cigarette de ses lèvres.
— Oooh… Danger, inconnu !
Syn jeta un bref coup d’œil derrière lui, mais personne ne se trouvait là.
— Je parlais de vous. Vous allez juste rester là et me dévisager, mec ?
Furious releva la tête et se tourna lentement, épinglant Syn d’un regard échauffé.
— Je m’appelle…
— Ouais. Je connais votre nom, vous me l’avez déjà donné, le coupa Furious. Votre eau de Cologne vous trahira chaque fois.
Syn s’approcha un peu plus.
— Sent-elle si mauvais que ça ?
— Nan. En fait, elle sent vraiment bon, dit-il, exhalant sa fumée.
Sans en avoir l’intention, Syn laissa un petit sourire se faufiler sur ses lèvres. Maintenant qu’il avait approché Furi, il ne savait pas du tout ce qu’il devait dire ou faire. Il n’avait aucune idée de la raison pour laquelle il s’était aventuré auprès de cet homme… ou de n’importe lequel, d’ailleurs. Les yeux de Furious étaient aussi sombres que la nuit, ses cils noirs et longs frottaient ses joues lorsqu’il baissait les paupières. Syn le contemplait de tout son saoul pendant que Furious l’observait avec curiosité.
— J’aime tes tatouages, lâcha brusquement Syn, grinçant des dents lorsque sa déclaration sortit un peu plus fort qu’il ne l’avait prévu. Les étoiles sont plutôt cool.
Furious prit une profonde bouffée de sa cigarette, recracha la fumée par le nez et, d’une pichenette, lança son mégot dans la rue. Il se leva du dossier du banc, se dressant de toute sa hauteur, peut-être un mètre quatre-vingt-cinq.
— Tu sais ce que les gens pensent d’une personne quand elle a des étoiles tatouées, non ?
Furious maintenait un contact visuel.
— J’ai compris certaines choses. Je ne suis pas du genre à croire tout ce que j’entends cependant.
— Vraiment ?
Syn fronça les sourcils, ne voyant pas où Furious voulait en venir avec ça… bordel, ni même où lui, allait avec ce sujet.
— Tu attends le bus ?
— Tu as tout pigé, petit génie. Comment as-tu pu deviner ?
— Tu es vraiment un gros malin, toi… et je m’appelle Syn. Je pensais que je pourrais te tenir compagnie pendant que tu attendais… ou même t’offrir de te ramener.
Le visage de Syn était crispé tandis qu’il parlait. Pourquoi diable tout le monde doit-il être si foutrement sarcastique tout le temps ?
— Oh, vraiment ?
Furious rangea ses écouteurs dans sa veste et passa une main dans ses cheveux.
— Pourquoi offrirais-tu de me ramener ?
— Pourquoi pas ? Tu en as manifestement besoin. J’essaie juste de me montrer amical.
Syn s’approcha davantage et il entendit le léger hoquet de Furious.
— C’est bon, mec. Voilà mon bus.
Syn se retourna quand il entendit le moteur diesel d’un bus MARTA s’arrêter au stop.
— Je peux te déposer, ce n’est pas un problème.
Syn haussa les épaules comme si cela importait peu. Alors que c’était tout l’inverse.
Bordel, pourquoi est-ce que j’insiste autant ?
— C’est bon. D’ailleurs, je ne monte jamais avec des étrangers.
Les freins du bus étaient bruyants lorsqu’il stoppa devant l’arrêt et les portes automatiques s’ouvrirent.
— Dis-le ! cracha soudain Syn.
Furious se tourna pour le dévisager depuis les marches du bus.
— Dire quoi ?
— Mon nom, bon sang !
— Pourquoi ? murmura pratiquement Furious.
— Parce que je veux l’entendre sortir de ta bouche.
La voix de Syn était devenue rauque. Il était honnête. Il désirait vraiment l’entendre. Maintenant… plus tard… dix octaves plus haut, ricochant sur les murs de sa chambre. Putain !
— Non, rétorqua Furious avant de se retourner et de monter dans le bus.
Pour une raison inconnue, Syn observa son nouvel ami énigmatique payer son billet et s’installer au fond du bus. Furious ne regarda jamais dans sa direction, mais Syn continuait d’espérer alors même que le chauffeur engageait le large véhicule dans le trafic.
Furi marcha sur un demi-bloc, atteignant son petit appartement d’Emory Point. Il vivait là depuis neuf mois, après s’être enfui afin d’échapper à un mari abusif. Il avait changé de nom de famille et s’était rendu aussi loin que le lui avaient permis les sept cents dollars qu’il avait réussi à mettre de côté en secret. Sa propriétaire était une vieille dame, avec sept enfants devenus adultes et environ quinze petits-enfants qui lui rendaient souvent visite, ce qui était extrêmement bénéfique pour lui. Il avait accès aux autres parties communes de la maison, mais s’y aventurait rarement.
Il alluma la petite lampe de l’entrée et retira ses vêtements à mesure qu’il avançait vers la salle de bain. Il faisait la même chose chaque soir, lorsqu’il revenait du bar. Il devait se débarrasser de l’odeur aussi rapidement que possible. Sentir les ailes de poulet grillées et la vodka n’était pas du tout sexy pour lui. Furi vérifia à moitié ses messages, avant d’entrer dans la petite pièce qui contenait la douche la plus minuscule qu’il ait jamais vue, tournant les robinets afin de faire couler l’eau jusqu’à ce qu’elle soit chaude. Il la laissa gicler quelques minutes avant même qu’elle commence à se réchauffer.
Il avait reçu un nouveau message de Greg – l’agent publicitaire du studio. Foutrement génial ! Furi ouvrit l’e-mail et ne lut que quelques mots avant de commencer à lever les yeux au ciel, ennuyé.
Furi, j’ai discuté avec Mack concernant la proposition que je t’ai faite la semaine dernière et nous sommes prêts à t’offrir mille dollars. Qu’en dis-tu ? ET vingt-cinq cents par téléchargement ! N’est-ce pas génial, mon beau ? C’est une offre que tu ne peux pas refuser. Tu as des fans qui adorent ton cul sexy. Tu ne veux pas perdre ton public, n’est-ce pas ? Ils ont besoin de te voir plus souvent. Donne-moi ta réponse dès que possible et nous annulerons ta séance photo de demain pour commencer une nouvelle scène à la place. Nous te laisserons même choisir ta partenaire. Mmm… Sasha Pain ne serait-elle pas délicieuse ? Oh, et PS, il y a cinq cents dollars d’avance si tu dis oui tout de suite !!! G.
Furi relut l’e-mail et sentit son estomac faire de drôles de gargouillis quand il songea à accepter l’offre de Mack. Il courait déjà le risque d’être retrouvé par son ex en effectuant des séances de masturbation en solo sur le site pornographique à la petite semaine de Mack.
Lorsque celui-ci était entré dans le bar de son oncle, presque six mois auparavant, il avait parlé pratiquement toute la moitié de la nuit, déclarant combien Furi était sexy et comment il pouvait faire de lui une star de cinéma. Furi avait rapidement décidé que cela valait le coup de jeter un coup d’œil et s’était rendu au studio de Mack. Il avait été terrassé lorsqu’il avait réalisé que c’était une entreprise de porno et, pire encore, il avait eu l’impression de passer pour un idiot de ne pas avoir pensé à demander quel genre de films Mack produisait.
Chaque fois que Furi avait tenté de tirer sa révérence avec grâce, Mack lui offrait plus d’argent. Bien qu’il doive se cacher de Patrick, il avait désespérément besoin d’argent. Son oncle avait voulu qu’il déguerpisse de son canapé après seulement quelques mois.
Il y avait juste un putain de gros problème avec le site porno de Mack : c’était un site exclusivement réservé aux hétéros et Furi était tellement gay qu’il ne saurait pas comment faire jouir une femme, même si quelqu’un lui faisait un dessin.
Donc, après avoir pratiquement poursuivi Furi jusque dans le parking, Mack avait réussi à le convaincre d’effectuer une masturbation en solo pour cinq cents dollars. Furi avait espéré qu’il ne réaliserait qu’une seule session et que cela lui permettrait de quitter le canapé de son oncle. Cet argent lui suffirait pour louer une petite chambre et, bien entendu, un film était devenu deux, puis trois… et cela n’en finissait plus. Furi avait désormais plus d’une vingtaine de masturbations à son actif, et désormais, Mack tentait agressivement de le convaincre d’en faire plus. Il avait refusé une fellation pendant le film. Bordel, il doutait même de pouvoir rester dur – il avait même rejeté l’idée une masturbation mutuelle et il était foutrement certain d’être incapable d’aller jusqu’à une pénétration. Maintenant, voilà qu’il lui offrait mille dollars, plus vingt-cinq cents par téléchargement… Merde ! Cela se vendrait probablement très bien, mais la pensée d’être retrouvé par Patrick ou par son psychopathe de frère le rendait physiquement malade. Il calma son cœur battant, tentant de se convaincre que c’était tout simplement impossible que ces deux connards paient un abonnement pour un site hétéro, puisque son mari et son frère étaient gays.
Furi referma l’e-mail sans répondre et se glissa sous le jet d’eau délicieusement chaud. Il laissa échapper un petit soupir, souhaitant pouvoir bénéficier d’une meilleure pression. Les petits filets d’eau qui sortaient de la douche âgée d’une trentaine d’années étaient à peine assez forts pour rincer l’après-shampoing de ses cheveux. Il secoua la tête, conscient de toutes les petites choses qu’il avait prises pour garanties quand il était marié et vivait dans un confortable appartement à Charlotte. Lorsque Patrick et son frère étaient loin de chez eux pour régler des affaires, il était heureux, c’était lorsque son mari revenait à la maison que cela tournait au désastre.
La chair de poule jaillit sur le corps tendu de Furi. Non pas parce que l’eau refroidissait déjà, mais une fois encore, des souvenirs envahissaient sa tête… peu importe ce qu’il faisait, il ne pouvait pas les arrêter.