LES ENNUIS ARRIVENT
RIEN DE SPÉCIAL 3
— Ruxs, fais gaffe au… Oh, merde !
Bordel ! Pas encore un autre cycliste.
Green appuya à fond sur la pédale d’accélérateur de son énorme RAM2500, déboulant au coin de Marrietta Street, gardant un œil sur son partenaire tandis qu’il pourchassait un de leurs informateurs. Il ne pouvait pas grimper sur le trottoir pour lui couper la route, parce qu’il y avait bien trop de piétons. Ruxs devait obliger le connard à quitter la rue pour s’engager dans une des nombreuses ruelles désertes. Green divisa son attention entre les manœuvres qu’il avait à effectuer pour se faufiler dans le trafic dense de l’après-midi et le fait qu’il ne devait pas perdre son partenaire de vue. Le moteur rugissait tandis qu’il doublait une foutue Buick trop lente, grillant un autre feu rouge, heurtant à peine l’arrière d’un bus MARTA.
Oops ! J’ai cru que je passerais. Merde !
Il vit que Ruxs redoublait d’efforts, lançant une grande claque sur l’épaule de leur informateur, l’envoyant voler vers une vieille dame, lui arrachant les sacs des mains. Green pensa que Ruxs l’avait eu, mais le salaud se débarrassa de son manteau, décollant à nouveau, coupant entre un immeuble de bureaux et un parking. Il ne pouvait pas tourner et le suivre dans l’allée trop étroite. Il grogna, virant sur Cone Street à la place. Il lui couperait la route à l’autre bout. Il fit beugler son klaxon, le trafic était au point mort, attendant que le feu passe au vert pour redémarrer. Mon cul ! Il empiéta sur le coin du trottoir, envoyant voler en l’air une poubelle en métal. Au moins, il n’y avait personne sur l’accotement cette fois. Il avait atteint presque la sortie de l’allée quand il repéra des lueurs bleues et rouges qui arrivaient à grande vitesse derrière lui, toute sirène hurlante. Il l’ignora, faisant une embardée sur deux couloirs de circulation, et enfonça l’avant de son véhicule dans l’ouverture étroite de la ruelle. Si leur informateur n’avait pas eu la tête tournée pour vérifier où se trouvait Ruxs, il aurait vu arriver le pick-up de Green et aurait évité de se précipiter droit dessus.
Ouch ! Cela a dû faire mal !
Il sortit de sa voiture, le contournant par l’avant juste au moment où Ruxs épinglait leur homme et le jetait contre le capot.
— Avais-tu à faire ça ? Je veux dire… Il y a une benne, juste là.
Green fronça les sourcils en direction de son partenaire.
— Regarde cette bosse, mec !
— La ferme, Green ! souffla Ruxs.
Green lui adressa un sourire moqueur, il savait combien son coéquipier détestait courir après les suspects. Il se tenait là, les bras croisés sur sa large poitrine, examinant leur informateur, plié en deux par la douleur d’avoir heurté sa voiture de plein fouet et à bout de souffle d’avoir couru ces dix dernières minutes.
Les pneus de la voiture de police crissèrent en s’arrêtant juste derrière la voiture de Green. Ils se retournèrent tous deux lorsqu’un jeune flic bondit, leur hurlant de lever leurs mains au-dessus de leurs têtes. Le policier put enfin leur jeter un bon coup d’œil et roula des yeux, abaissant aussitôt son arme.
— Ruxs, Green, putain, j’aurais dû m’en douter !
— Comment va, Michaels ?
Green lui serra la main. C’était un des rares hommes en uniforme qui appréciait les gars de leur équipe d’intervention. Un des seuls qui faisait tout ce qui était en son pouvoir pour leur parler ou leur offrir son aide.
— Qu’avez-vous attrapé cette fois, les mecs ?
Michaels haussa les sourcils d’un air interrogateur, quand il aperçut le junkie échevelé qui tentait de se faufiler le long du véhicule de Green, jusqu’à ce que Ruxs le repousse violemment contre l’immeuble.
— Tu ferais mieux d’y aller, Michaels.
Green le fixait d’un air sérieux. Il n’y avait pas moyen qu’ils discutent avec leur informateur, utilisant leurs propres moyens de persuasion habituels et pas très professionnels devant un autre officier.
Les yeux bleus de Michaels s’abaissèrent tandis qu’il entortillait ses doigts.
— Euh… ouais, d’accord. Hey, Green, as-tu eu le temps de voir avec God pour savoir s’il y aurait une ouverture prochainement dans son équipe ?
Green réprima un soupir. C’était totalement impossible que Michaels puisse faire l’affaire dans leur team. Le gars était bien trop gentil et débonnaire. Il ne possédait pas une once de cruauté ou de dureté en lui. Vous deviez avoir la peau plutôt dure pour faire ce que leurs lieutenants leur ordonnaient… chaque jour.
Green put voir que son partenaire s’apprêtait à dire exactement ce qu’il en pensait, cependant il parla avant que Ruxs anéantisse tous les espoirs du jeune homme.
— Pas encore. Je lui en parlerai très vite, d’accord ?
Michaels rayonna, lui adressant un sourire étincelant et repartit rapidement vers sa voiture de patrouille. Green remarqua combien son uniforme était moulant au niveau des cuisses et des fesses. Il gloussa intérieurement, puis secoua tristement la tête tandis que l’officier leur adressait un geste amical de la main, les manches de sa chemise d’uniforme coupant pratiquement la circulation de ses larges biceps. Il était exactement comme tant d’autres membres de la police d’Atlanta : il voulait travailler pour God et Day.
— Pourquoi le mènes-tu en bateau ? Tu sais parfaitement bien qu’il n’entrera jamais.
Ruxs retira son manteau en cuir et le jeta à l’intérieur de la voiture, par la fenêtre ouverte du côté passager, après avoir menotté leur suspect à la benne à ordures.
— Ouais, ouais, je sais. Je le lui ai dit. Mais il agit comme un chien loyal. Je veux dire… qui voudrait balancer un coup de pied à un golden retriever ?
Green sourit à son partenaire qui, en retour, lui adressa un regard qui voulait dire…
— C’est quoi ce bordel ? Arrête d’agir comme un idiot. Annonce au type qu’il n’y arrivera jamais et avance ! D’ailleurs, il joue toujours les garçons de course pour toi, à aller te chercher un café ou autre connerie. C’est dégueu de lui faire ça, mec.
Green ouvrit la bouche, faisant semblant d’être perdu.
— Je ne lui ai jamais demandé de faire tout ça.
— Pouvons-nous en discuter plus tard ?
Green haussa les épaules.
— Bien sûr, peu importe.
Il retourna alors son attention sur leur informateur. Dès que Green fixa ses prunelles dures sur lui, il se mit immédiatement sur la défensive.
— Je jure que je ne sais rien, détective Green, pleurnicha tristement le gars.
— Whoa ! Whoa ! Je ne t’ai pas posé la moindre putain de question, répondit calmement Green. Tu me mens déjà, Tommy ?
L’homme hochait la tête pour nier avant même que Green ait terminé de poser sa question. Ruxs se tenait là, avec un léger sourire étirant ses lèvres, dès qu’il regardait faire son collègue. Parfois, il avait l’impression que Ruxs aimait un petit peu trop cette partie, restant simplement assis à l’arrière et observant Green travailler. Leur seul boulot consistait à recueillir des informations valables et à intercepter des suspects pour leurs lieutenants, autrement dit à presser des gens pour obtenir des renseignements, puis les amener là où ils avaient besoin d’être interrogés, en bref, à arrêter des personnes. Fondamentalement, ils étaient les ‘gros bras musclés’ de God et Day, et ils étaient foutrement doués.
Green s’accroupit devant leur informateur, l’étudiant intensivement. Ses vêtements miteux pendaient lâchement sur son corps tout en longueur, et ses cheveux semblaient ne pas avoir été lavés depuis des jours. Ses yeux étaient vitreux et ne parvenaient pas à se concentrer. Le salaud planait. Il ne serait bon à rien pour l’instant.
— Tommy. Tommy, écoute-moi. Pourquoi nous as-tu raconté cette fable à propos du labo de meth à East Point ?
— Je n’ai pas…
— Ferme ta gueule ! le coupa Green, sa voix contenant ce timbre effrayant qu’il utilisait sur les suspects.
Une voix qui donnait le sentiment qu’il était tellement énervé qu’il était trop en colère pour crier.
— Si, tu l’as fait. Tu nous as balancé un ramassis de conneries. Il n’y avait personne d’important là-bas. Nous avons ramassé deux pauvres sous-fifres. Que diable sommes-nous censés faire avec ça ?
— J’y suis allé moi-même. Il y avait quelques têtes là-bas, détective Green. Je le jure.
Le flic se releva lentement.
— Tu mens toujours. Quelqu’un est venu te voir. Qui ?
— Nan. Personne. J’ai dit que je vous aiderais, les gars.
Green en avait terminé. Ce type avait retourné sa veste. Il n’était plus d’aucune utilité pour eux désormais.
— Eh bien, c’était agréable de faire des affaires avec toi, Tommy. Cependant, tes services ne sont plus requis à partir de maintenant.
Green s’approcha et passa un bras autour du cou du jeune homme. Il sortit son portefeuille et montra son badge d’une main, tandis qu’il levait le pouce de celle autour de Tommy.
— Souris…
— Quoi ?
Dès que Tommy tourna la tête vers Ruxs, il prit une photo d’eux avec son téléphone portable. Green repoussa le type loin de lui.
— Nous allons imprimer quelques exemplaires de cette image et les accrocher partout autour d’East Point, tout du long, jusqu’à Church Street, histoire de permettre à quelques mecs de voir avec qui Tommy traîne.
— Les gars, vous essayez de me faire tuer ou quoi ? hurla le jeune homme, tirant sur les menottes comme si elles pouvaient bouger.
— Je m’en fous royalement, lança Ruxs.
— Allez, mec… Ne faites pas ça. Je vous ai donné de bonnes infos. Ce n’est pas de ma faute si vous avez tout foutu en l’air, contra Tommy.
— Oh ! Alors maintenant, c’est nous qui avons merdé ? Je vois…
Green frotta son bouc parfaitement taillé.
— Allons annoncer à God comment il a foutu en l’air cette descente.
Ruxs défit rapidement les menottes et saisit Tommy par son frêle avant-bras. Le jeune homme secouait la tête si vite que de la bave atterrit sur ses deux joues.
— Non, non, non ! Putain, non ! Je n’irai pas. Je ne veux pas parler à God.
Tommy donnait l’impression qu’il allait se faire dessus.
— Ce n’est certainement pas moi qui vais lui délivrer ton message. Tu as dit qu’il avait merdé, alors allons le lui annoncer, reprit Green avec désinvolture.
C’était généralement leur carte maîtresse. Personne ne voulait parler à God ou à Day.
Ruxs poussa Tommy sans effort dans la voiture.
— Je n’ai jamais dit que God avait tout gâché. Vous savez que je ne l’ai pas fait. D’accord, d’accord ! Arrêtez tout une seconde, détective Rubxsberg. J’ai… j’ai… une petite… info à vous donner. Je ne connais pas toute l’his… l’histoire, mais je sais un petit quelque chose à propos d’un truc, bégaya-t-il, sa tirade ayant peu de sens.
Ruxs relâcha son bras, le faisant à nouveau tomber sur le sol.
— Aïe ! Bordel !
Tommy frotta son poignet, fusillant Ruxs du regard. Il croisa les jambes, dans le style indien, comme s’il était assis sur un putain de tapis persan, et non pas sur du béton répugnant.
— Il va y avoir un gros chargement qui doit arriver à la maison de Cleveland Avenue.
— Gros comment ? demanda Green, désormais intrigué.
— Énorme, mec. Je ne sais pas. Juste foutrement gigantesque, d’accord ? Cela met tout le monde mal à l’aise, vous savez ?
— Quand ? exigea Ruxs.
— Quelques semaines. Il y aura quelques étrangers qui débarqueront avec. Chainz est sur une merde sérieuse.
— Tu en es sûr ? reprit Green.
— Ma femme travaille dans l’une des maisons que Chainz garde de côté. Elle a entendu un de ses grands patrons en parler. Ils règlent déjà les détails à ce sujet.
— Dans ce coin merdique ? Il va amener des contacts étrangers qui ont autant de poids dans cette masure délabrée de Cleveland Avenue ? répéta Green, sceptique.
Ruxs secoua la tête.
— Cela n’a strictement aucun sens.
— Exactement !
L’expression sérieuse que Tommy leur adressa leur indiqua tout ce qu’ils voulaient savoir : il disait la vérité.
… à suivre…