Syn resta à la limite de la vitesse autorisée pour rentrer chez lui, il n’était pas pressé. Le travail avait été productif : des réunions avaient succédé à d’autres réunions, sans parler des monticules de paperasses dont il avait dû s’occuper. God l’avait officiellement présenté à leur équipe en tant que troisième en commande, donc, techniquement, il se retrouvait sergent maintenant et il espérait que sa paie reflèterait bientôt cette promotion. Les gars formaient un groupe relativement facile à commander, chacun d’eux étant le meilleur dans sa spécialité.
La première partie de la journée s’était déroulée avec l’équipe le mettant au courant de leurs dossiers en cours. Il n’avait pas eu peur de sauter dans le train, les pieds joints, et de prendre les rênes. C’était ce qu’il faisait de mieux : gérer et contrôler différentes situations. Il n’était pas nerveux à l’idée de faire remarquer aux détectives leurs conneries et vice versa. Il était aisé de s’adapter à la franche camaraderie avec laquelle chacun pouvait exprimer de manière détendue ce qui le tracassait. Les sentiments de Syn n’étaient pas facilement blessés, donc il n’avait aucun problème avec l’attitude brusque de God, ni avec les remarques sarcastiques de Day. Autrement dit, vous deviez avoir la peau aussi dure que celle d’un rhinocéros pour survivre dans cette équipe.
Maintenant, c’était le soir et, après avoir écouté God et Day se disputer quant à la manière dont ils attribueraient la priorité aux deux prochaines affaires, Syn et plusieurs autres des membres de l’équipe s’étaient esquivés lorsque les regards étaient devenus de moins en moins colériques et de plus en plus affamés. Il secoua la tête et souhaita secrètement pouvoir être une mouche collée sur le mur de leur chambre ce soir. C’est quoi ce bordel ? Sûrement pas !
Syn avait besoin de baiser, toutefois il ne parvenait pas à se sortir de la tête certains bras tatoués aux cheveux longs, un corps puissant et svelte mélangé à de doux traits. Seigneur, bordel ! Il devait admettre que le barman sexy ressemblait beaucoup à son ancien colocataire. Quand Syn avait obtenu son diplôme à l’académie de police de Philadelphie, il avait choisi d’afficher une annonce dans laquelle il recherchait un colocataire dans la salle de repos des policiers. Il ne s’était jamais rien passé entre Rhodes et lui, mais bon sang, il y avait tout de même eu quelques regards intenses et des contacts rapides. Rhodes était gay et s’était assuré que Syn sache qu’il était désiré. Il avait simplement eu trop peur de lui annoncer directement ce qu’il voulait que Rhodes lui fasse.
On était vendredi soir et il n’avait nulle part où aller. Il n’était pas franchement pressé de revenir à son appartement à peine meublé afin de commander un plat à se faire livrer. Il avait songé à accepter l’offre de certains des gars de se retrouver dans un bar appelé “Henry”, cependant, il doutait y faire un tour. En fait, il avait un autre bar à l’esprit pour ce soir. Ou plutôt, un autre barman.
Syn laissa échapper un soupir alors qu’une autre voiture le doublait à toute vitesse. Marrant, cette dame semblait avoir au moins quatre-vingt-dix ans. Il appuya sur l’accélérateur et repéra une place libre juste devant son immeuble. Il vérifia l’heure sur sa montre. Vingt heures cinq, cela lui laissait assez de temps pour rentrer et prendre une douche rapide.
Syn portait un tee-shirt noir moulant avec un jean bleu foncé. Comme d’habitude, il n’avait rien fait de spécial avec ses cheveux brun foncé qu’il gardait coupés court sur les côtés avec un peu de longueur sur le dessus. Il aurait probablement pu se raser, toutefois, il avait décidé de laisser pousser sa barbe de deux jours. Syn dissimula son Glock 37 dans sa ceinture, se sentant toujours réconforté par le poids de son arme nichée dans le creux de ses reins. Il rangea ses menottes, portefeuille et son badge dans la poche intérieure de sa veste et se dirigea vers la porte. Dès qu’il franchit le seuil, il vit son voisin traverser le couloir, venant vers lui avec une boîte de pizza dans les mains, flanqué de deux autres gars qui ressemblaient à de petites frappes droguées.
Syn avait eu l’intention de parler au jeune punk de sa musique trop forte, apte à provoquer de terribles maux de tête, qui jaillissait de ses enceintes à n’importe quelle heure de la nuit.
— Comment va, mec ?
Le drogué leva une main molle vers lui en même temps que sa salutation.
Syn dévisagea son voisin et réussit à peine à ne pas lever les yeux au ciel avant de répondre.
— Ouais, bien. Euh… je voulais demander si cela ne vous dérangerait pas de baisser le son de votre musique après minuit. Je suis certain que beaucoup de vos voisins apprécieraient.
Le junkie et ses amis fixèrent Syn comme s’il avait des cornes avant de s’esclaffer.
— Je n’ai entendu aucune plainte, mec, et d’ailleurs, j’étais là le premier. Vous, vous venez juste d’emménager, argumenta faiblement son voisin.
— Putain, en quoi cela a-t-il quelque chose à voir avec le sujet ?
Syn grinça des dents, sa patience s’amenuisant rapidement.
— Tout ! siffla Drogué, avançant dans l’espace de Syn.
Ce doit être une foutue mauvaise plaisanterie. Voilà qu’il veut se battre maintenant. Il roula des yeux cette fois.
— Écoute. Je n’ai pas le temps pour ces conneries. Baisse le son de ta putain de musique ou je t’arrêterai pour tapage nocturne.
Syn montra son badge doré et se sentit arrogant lorsque les amis de Drogué haletèrent et lui tournèrent le dos, allant tranquillement se planquer dans l’appartement.
— Bien sûr, officier.
Drogué cracha le mot “officier” de la manière la plus irrespectueuse qu’il pouvait et cogna l’épaule de Syn lorsqu’il le poussa pour entrer chez lui.
Syn était presque certain d’avoir entendu un “putain de porc” murmuré avant que la porte de son voisin lui claque au nez. Il n’allait certainement pas laisser cette petite dispute ruiner sa bonne humeur. Il devrait faire la fête ce soir. Il venait juste d’être engagé par la police d’Atlanta et promu membre de la plus prestigieuse unité spéciale de tout l’Est des États-Unis. Les gens apprendraient à connaître son nom. Il serait enfin différencié de l’héritage venant de sa famille, se forgeant son propre nom. Syn devrait recevoir quelques tapotements dans le dos en guise de félicitations et un peu de sexe brûlant. D’attendrissants yeux d’un noir de charbon et un accent épais lui sautèrent à l’esprit, le faisant pratiquement vaciller.
Il trottina, traversant les trois couloirs de circulation de la rue et eut besoin de prendre quelques inspirations apaisantes tandis qu’il se tenait debout devant la lourde porte en bois du pub. Bordel, pourquoi son cœur battait-il la chamade pour commencer ? Il fouilla la rue du regard, remarquant les nombreux bars et restaurants. La foule animée remplissait déjà les trottoirs en cette veille de week-end. Syn carra les épaules et ouvrit la porte. Il se retrouva pris dans un environnement sombre et bruyant. Il jeta un rapide coup d’œil aux clients avant de se rapprocher du bar. Il s’installa sur le tabouret le plus proche de l’endroit où il s’était tenu la veille, essayant de se montrer discret tout en cherchant son barman préféré.
Syn n’aperçut que le type d’hier soir qui avait appelé le barman “Furious” et deux femmes portant le tee-shirt officiel du pub avec de petits shorts, ressemblant à des kilts et des chaussures à plateforme. Il essaya de ne rien laisser transparaître de sa déception, cependant il la sentit lentement s’infiltrer en lui. Syn se retourna complètement sur son tabouret, observant la piste de danse et les tables environnantes. Peut-être travaille-t-il également en salle ? Il ne parvint pas à le repérer. Merde ! Son mystérieux ami ne bossait pas ce soir, obtenant probablement une nuée d’attentions ailleu…
— Tu cherches quelqu’un ?
La voix profonde, rauque, et très sexy frôla le dos de Syn comme la caresse d’un amant.
Oh, Seigneur ! Lentement, Syn tourna sur son siège afin de revenir vers le bar et plongea directement dans les prunelles chocolat noir de Furi. Le barman le dévisageait comme s’il venait de découvrir tous les sombres secrets de Syn. Tous ses désirs. Toutes ses envies les plus profondes… meeerde ! Syn voulait s’enfuir à cause de ce sentiment d’être exposé, mais se retint à temps. Furi lui adressa un clin d’œil, ce qui rompit la transe dans laquelle il semblait se trouver.
Bon sang ! Furi lui avait posé une question.
— Non, répondit-il rapidement, grimaçant à la note d’excitation contenue dans sa voix.
Il prit une profonde inspiration avant de reprendre la parole.
— Je ne cherche personne.
— Tu en es sûr ? ironisa Furi.
Il essuya une tache invisible sur le comptoir et lança une serviette devant lui.
— Qu’est-ce que ce sera, Chef ?
Et nous y revoilà avec les surnoms. Seigneur, je veux juste l’entendre le dire une fois. Est-ce trop demander, putain ? Syn passa une main sur sa barbe.
— Euh… mets-moi un double shot de Maker avec une Corona.
Furi ne bougea pas et ne répéta pas sa commande. Il resta simplement là, à le dévisager. Donc, Syn l’imita. Bon sang, cet homme était quelqu’un ! De fichus tatouages partout, sortant de là où ses vêtements s’arrêtaient, visibles même à travers les déchirures de son jean. Ses cheveux avaient l’air si doux et étaient magnifiques. Ses lèvres roses et pleines comme celles d’une femme, cependant, Syn était certain que ce chaume piquant ne lui procurerait pas l’impression d’embrasser une femme. Ce serait comme si… bordel, il n’en savait rien. Les bras de Furi étaient posés sur le bar, ses veines saillaient sur les muscles qui se contractaient juste sous la surface de sa peau encrée. Désormais, c’était au tour de Syn de faire preuve d’un peu plus de confiance.
— Ouvre une ardoise. Je vais peut-être rester un moment… Furious.
Syn prononça lentement son prénom, le laissant jouer sur ses lèvres pour faire bonne mesure. Il aima la lueur amusée qui traversa les yeux de son nouvel ami. Il semblait apprécier d’entendre son nom sortir des lèvres de Syn, sonnant sexy et obscène en même temps.
Furi jeta un rapide coup d’œil aux alentours pour voir si quelqu’un d’autre accordait de l’attention à leur duel de regards. Il repoussa une mèche de cheveux et fit demi-tour sans aucun espoir de retour. Furious ne paraissait pas aussi insolent qu’il l’avait été à l’arrêt de bus la veille.
Syn l’observa quelques secondes, alors qu’il prenait et servait quelques commandes. Il lui tournait le dos et Syn tenta d’obtenir une meilleure vue de ce qui était caché derrière le bar, et se retrouva distrait par des coups provenant de l’autre extrémité du pub. Il se tourna pour regarder, toutefois, la foule était dense et tout ce qu’il put discerner fut un groupe exubérant près des tables de billard et des cibles de fléchettes. On dirait des gamins d’université. Le martèlement et les cris résonnèrent à nouveau.
— Tommy ! Tommy ! Tommy !
La petite troupe psalmodiait et tapait ce qui devait être des bocks de bière sur les tables en bois.
— C’est quoi ce bordel ?
Syn se retourna brusquement et vit que ses boissons se trouvaient devant lui, ainsi que Furious.
Coups plus forts et hurlements.
— Que diable font-ils ?
L’homme imposant – Syn présumait désormais qu’il s’agissait du propriétaire – émergea des doubles portes menant probablement à la cuisine.
— C’est quoi ce foutu bruit, Furious ?
Syn remarqua que l’interpellé fermait les yeux, avec un ennui évident, et lança son torchon sur le bar, devant lui. Furious haussa les épaules, cependant, le propriétaire corpulent ne le remarqua pas, parce qu’il tentait toujours de voir quelque chose par-dessus les têtes de ses clients installés dans un coin sombre. Cette fois, les coups furent plus bruyants que la musique.
Le type posa une main sur l’épaule de Furious et le retourna de manière à ce qu’il soit face à lui.
— Furi, c’est quoi ce putain de bruit ?
— Si seulement je le savais... C’est sûr que je n’ai pas encore eu la chance d’aller voir, hurla à son tour Furious.
Syn faillit s’étouffer avec sa bière, riant à la répartie pleine d’esprit du barman. Lorsque Furi haussa à nouveau les épaules afin de se libérer de la poigne de son oncle, et qu’il se retourna, il fixa un Syn gloussant toujours et secoua la tête. Le flic entrevit un petit sourire apparaître sur ses lèvres et, sans même s’en rendre compte, il lui adressa un clin d’œil.
— Eh bien, ils ont besoin de se calmer. Des gens s’en vont, annonça l’oncle. Va leur dire d’arrêter.
Syn vit Furious baisser la tête. Il ne parvint pas à comprendre ce qu’il marmonnait, cependant cela ne ressemblait pas à un mantra apaisant. Il se dirigea vers l’extrémité du bar, souleva la planche de séparation et la laissa brutalement retomber derrière lui.
— Je vais te montrer où tu peux te mettre ce genre d’attitude, Furi ! ajouta l’oncle, irritant davantage son neveu.
Le barman disparut dans la foule. Il dut réussir à atteindre les gamins bruyants et dire quelque chose parce que les coups cessèrent brièvement avant de reprendre de plus belle, seulement cette fois, ils étaient encore plus forts. Syn entendit quelques clients hurler, puis des “oooh” et des “ahhh” ce qui n’était jamais bon signe dans un groupe agité. Cela signifiait en général que quelqu’un se faisait malmener.
Il ne pouvait plus voir Furious du tout, malgré sa grande taille. Il abandonna son siège et se fraya un chemin à travers la foule. Syn sentit le mouvement tandis qu’il était bousculé en arrière avec d’autres personnes. Merde ! Quelqu’un poussait ou se battait. Il ne pouvait toujours rien voir. Les gens luttaient afin de se rapprocher des cris emplis de colère. Ce n’est pas ce que je suis venu chercher. Il aperçut enfin Furious qui se tenait nez à nez avec un gars bon chic bon genre, qui portait un polo vert et un bermuda. Ses cheveux hérissés par le gel et son air quelconque criaient le gamin riche et pourri gâté. Il y eut des échanges de jurons de chaque côté et Syn était sur le point d’intervenir lorsqu’un bras épais surgit derrière le cou de Furious et le pseudo gendre idéal lui envoya un coup de poing en plein estomac. La douleur qui s’afficha sur les traits du barman le fit trembler de rage et le lança dans l’action. Il poussa les quelques corps en travers de son chemin et avança d’un pas déterminé, utilisant son impulsion pour balancer un coup de coude dans les côtes de l’agresseur de Furious. L’homme se plia en deux, manquant de peu d’envoyer Furi au sol avec lui.
Syn aida le barman à se relever et le glissa derrière lui pour le protéger. BCBG parut surpris l’espace d’une seconde, puis découvrit les dents face à Syn.
— Cela ne te concerne pas, mec. Reste en dehors.
BCBG cherchait à regarder derrière Syn, désirant manifestement s’en prendre à nouveau à Furious.
— Peut-être que si.
Syn afficha un air ennuyé, puis il réfléchit une seconde. S’il brisait la mâchoire du gamin, cela pourrait foutre en l’air sa fichue promotion. Au moment où le jeune semblait vouloir entamer la bagarre, Syn sortit son badge.
— Une nuit en cellule te permettra certainement de la fermer.
Syn entendit le gars qu’il avait frappé gémir et il le dévisagea, ne désirant pas se faire attaquer par derrière lui aussi. Toutefois, il fut surpris de ne pas trouver Furious. Il sortit son téléphone portable et composa le 911, donnant son nom, son numéro de matricule et indiqua au central qu’il se trouvait face à quelques ivrognes et fauteurs de troubles qui avaient besoin d’être ramassés.
Il voulait désespérément trouver Furious. Il se doutait qu’il allait bien. Il était certainement capable de supporter un coup de poing, cependant, il désirait lui parler. Syn comprit qu’il avait peut-être tout gâché. Sans y réfléchir, il l’avait poussé derrière lui, comme s’il était incapable de se défendre seul. Mais lorsqu’il avait vu la douleur provoquée par le coup se répandre sur les beaux traits de son visage, son instinct protecteur avait pris le dessus et il avait réagi. Il lança des coups d’œil vers le bar, la porte, puis sur les crétins d’étudiants, préférant s’élancer après Furi pour le retrouver, toutefois, il ne pouvait pas laisser ces criminels en puissance seuls, jusqu’à ce que les uniformes arrivent.
— Euh… Officier, je suis désolé, d’accord ? Pouvez-vous trouver ce gars pour que je puisse lui présenter des excuses ? Je promets que nous partirons et que nous ne reviendrons jamais.
BCBG semblait être sur le point de pleurnicher. Il n’était plus aussi confiant désormais, ne voulant certainement pas que papa rapplique afin de le faire sortir de prison.
Syn entendit le bruit des sirènes et comprit que les policiers seraient bientôt là. Il se tourna vers BCBG, affichant un froncement de sourcils et une grimace rageuse.
— Putain, non ! Et je vous avertis : je ne veux plus jamais vous revoir ici.
Un collectif de “oui, monsieur” s’éleva des gamins qui avaient rapidement dessoulés à la pensée de se retrouver en prison, ne serait-ce que pour une nuit. Tandis que la police guidait les gars vers l’extérieur et les enfermait dans des paniers à salade, Syn revint en courant vers le bar, toujours sans voir Furious.
Il n’y réfléchit pas à deux fois. Il se dirigea vers le bout du bar et souleva la planche, se glissant derrière le comptoir. Deux femmes le dévisagèrent, choquées et Syn leur montra à nouveau son badge.
— Où est Furious ? demanda-t-il, utilisant son ton de flic autoritaire.
— Il est parti, répondirent-elles à l’unisson, le fixant toujours étrangement.
— Bon sang ! siffla-t-il avant de se précipiter hors du pub.
Il fouilla anxieusement du regard la rue en haut et en bas et l’aperçut, assis sur le banc, la tête baissée, attendant le bus. Bien qu’il ait un sweat-shirt à capuche couvrant sa tête et tombant bas sur son front… Syn était certain que c’était son hom… Ce n’est pas mon foutu mec, c’est juste un ami !
Il approcha son nouvel ami avec confiance, toutefois, il n’était pas prêt à découvrir le regard furieux, les yeux hantés qui se levèrent vers lui quand il remonta lentement la capuche de Furious. Syn prit une profonde inspiration, et souffla lentement avant se décider enfin à parler.
— Furious. Tu vas bien ?
Aucune réponse.
— Es-tu blessé ?
Syn était vraiment inquiet. Furious avait l’air détaché, renfermé sur lui-même.
— Béb…
Merde !
— Furi, se corrigea-t-il rapidement. S’il te plaît, réponds-moi. Écoute, mon appartement se trouve juste de l’autre côté de la rue...
Il pointa un doigt en direction de son immeuble.
— Si tu veux, tu peux monter et discuter. Je pourrai te ramener chez toi plus tard.
Il s’écoula plusieurs longues et intenses minutes, pendant lesquelles Furious ne bougea pas d’un pouce et ne dit rien.
— Nous allons juste causer, d’accord ? tenta de nouveau Syn.
Merci beaucoup MARTA. Parfait timing !
C’était bien sa chance ! Le bus s’arrêta juste devant le trottoir et les portes automatiques s’ouvrirent.
— Furious, je veux juste parler.
— Non, merci, détective.
La voix de Furious était si profonde et colérique qu’il eut l’impression qu’il l’avait frappé. Il déglutit difficilement.
C’était la seconde fois en l’espace de quelques minutes que son titre avait délibérément été utilisé méchamment contre lui. Syn se foutait totalement de son voisin drogué montrant son dégoût… venant de la part de Furious, cela faisait mal. La pomme d’Adam de Syn monta et descendit tandis qu’il tentait de trouver quelque chose à dire, n’importe quoi, cependant Furious se trouvait déjà à mi-chemin vers l’arrière du bus. Il le vit se laisser tomber sur son siège et remonter sa capuche sur sa tête. Le chauffeur lui jeta un bref coup d’œil avant de refermer les portes et de s’engager dans le trafic.
Syn voulut envoyer son poing dans le banc de l’abribus, le lampadaire, n’importe quoi… Ce qui l’énervait vraiment c’était qu’il ne savait pas du tout ce qui se passait avec Furious et il était effaré de constater à quel point il s’était d’ores et déjà insinué sous sa peau. Ouais, il savait que Furious était gay, il n’avait pas eu besoin de le dire, toutefois, il était également très clair que Syn ne l’intéressait pas du tout. Il ferait mieux de tout laisser tomber.
Dès qu’il entra dans son appartement, il sentit un picotement familier dans son cou, l’avertissant d’un éventuel danger. Il faisait sombre à l’intérieur, donc il n’alluma pas les lampes, juste au cas où il y aurait un intrus. Si c’est toi, Drogué, tu as choisi la mauvaise putain de nuit. Puis, l’odeur le frappa. Café. Syn laissa échapper un grognement ennuyé, passant une main dans sa barbe.
— Cela veut-il dire que je vais devoir me méfier, lieutenant ? Parce que Day et toi, vous êtes capables de vous introduire dans mon appartement quand bon vous semble ? déclara-t-il, appuyant sur l’interrupteur.
Day était assis dans sa petite cuisine, buvant lentement son habituelle tasse de café pendant que God se tenait près de lui, appuyé nonchalamment contre le mur, ses bras massifs croisés sur une poitrine encore plus imposante. Ses longs cheveux bruns étaient retenus dans une queue de cheval et son manteau en cuir était soigneusement posé sur le dossier de la chaise sur laquelle Day était assis. Sans manteau, les armes de God ressemblaient au genre de flingues que vous pouviez voir chez un caïd de la pègre dans des films. Deux Desert Eagles, customisés, rehaussés d’or et sur les longs barillets était écrit en script “In God, We Trust”. Le plat de la crosse contenait une large tête de lion gravée. Syn n’avait jamais vu d’armes pareilles. Aucun doute, c’était des cadeaux de son amant. Ces révolvers étaient attachés à ses côtés, bien à l’abri dans leurs étuis d’épaules en cuir. Très peu de gens étaient en mesure de voir le couteau de type militaire avec une lame de quinze centimètres de long qu’il gardait dissimulé sous son bras gauche. Syn avait entendu des histoires sur les ouvrages effectués par cette lame. Le badge doré de God pendait, suspendu autour de son cou par une longue chaîne en argent et reposait au milieu de sa poitrine. Les lettres noires indiquant “lieutenant” ressortaient dans le doré.
Syn remarqua que Day jetait un coup d’œil à son manque flagrant de meubles… de photos… d’objets d’art… de décorations… et de n’importe quels autres aménagements qui faisaient d’un appartement un endroit bien à soi.
— Oh, bien. Il semble que nous n’ayons pas raté la pendaison de crémaillère finalement. T’es-tu inscrit ?
— La ferme, Day ! grommela Syn, ouvrant la porte de son réfrigérateur pour prendre une Corona puisqu’il n’avait pas eu l’occasion de finir la sienne au pub.
— Repose ça. Nous avons un cadavre sur les bras. Allons-y.
— Un cadavre ? répéta Syn, fronçant les sourcils. Nous faisons dans les homicides maintenant ?
— Nous ferons tout ce que je déciderai. Allons-y.
La voix de God contenait une pointe catégorique.
Syn reposa rapidement la bière et alla dans sa chambre pour chercher son étui d’épaules et son autre Glock. Il mit son harnais, rangea ses armes et franchit le seuil de son appartement derrière ses patrons.
Ils traversèrent le couloir, aucun d’eux ne cherchant à marcher d’un pied léger. Comme de bien entendu… ce devait être sa journée pourrie de chez pourrie, parce que son voisin sortait juste de l’ascenseur avec encore une autre pizza et au moins cinq gars sur les talons.
— Tiens, c’est l’équipe anti-mafia, lança Drogué en riant, faisant un tope là avec un de ses amis qui paraissait aussi défoncé que lui.
Il se tourna et les dévisagea.
— Je dis juste que les gars, vous avez l’air… eh, bien, vous savez… bizarre, ajouta-t-il en gloussant.
— Mec, tu penses qu’on a l’air étrange alors que tu es celui qui porte une putain de veste Members Only (NDT : marque de vêtements, populaire dans les années 80), se moqua Day en souriant.
— Qui met encore ce genre de truc ? demanda Syn avec incrédulité.
— Le dernier foutu membre ! répondit Day, riant toujours.
Un brusque éclat de rire échappa à Syn, avant même qu’il puisse l’arrêter, et même God émit un rire rauque. Syn devait admettre que Day était un sacré clown. La haute carrure de God se traça un chemin à travers le groupe qui s’écarta sur son passage, aucun des junkies ne désirant, ne serait-ce qu’accidentellement, se cogner à lui. Tandis qu’ils montaient dans la cabine de l’ascenseur, ils pouvaient encore entendre les amis de Drogué se moquer de lui à propos de sa vieille veste.