Syn était assis à la table de sa cuisine, fixant son verre de jus d’orange. Il avait eu environ deux heures de sommeil une fois que Ronoswki l’avait déposé. God et Day avaient paru extrêmement pressés de rentrer chez eux. Voir la personne que vous aimez se faire tirer dessus donnerait envie à n’importe quel homme de vouloir réaffirmer de manière très bestiale son amour de la vie et sa revendication sur son amant. Syn avait entendu des balles siffler à ses oreilles, mais il n’y avait personne chez lui, l’attendant afin de montrer son appréciation au fait qu’il était toujours vivant. Il n’y avait aucun corps chaud contre lequel se blottir, et s’assurer de dormir paisiblement. Il n’avait personne pour lui sourire au matin avec des étoiles plein les yeux, conscient et ravi d’être avec lui pour au moins un jour de plus. Il n’y avait simplement personne.
Syn passa une main dans ses cheveux et s’adossa à sa chaise, surveillant inconsciemment les alentours. Peut-être que quelques rideaux et éléments de décoration seraient agréables. Il possédait un écran plat de télévision de cent soixante-quatre centimètres et un fauteuil inclinable installé devant. Une lampe était attachée à une extrémité de la table, près du siège. Un endroit pour poser sa bouteille de bière. La cuisine avait juste quelques aménagements : l’habituel évier, un réfrigérateur, un micro-ondes, un grille-pain, une bouilloire et un décapsuleur incrusté au comptoir. Il y avait une petite table et trois chaises installées près du mur du fond.
Syn n’avait pas ressenti le besoin de s’installer à proprement parlé depuis que Rhodes avait quitté leur petit appartement de Philadelphie, après avoir rencontré quelqu’un. L’endroit lui avait toujours donné l’impression que Rhodes valait bien mieux que lui. Il l’avait utilisé comme excuse pour ne pas se sentir bizarre chaque fois que le corps ferme de son colocataire avait effleuré le sien quand ils se tenaient un peu plus près que des hommes le faisaient en général, assis sur un canapé… mais c’était normal parce que leur salon ne pouvait contenir que leur télévision et un canapé. Donc, il devait frotter sa cuisse contre celle de Rhodes, évident, non ? Alors pourquoi avait-il été dévasté lorsque son ami était parti ? Pourquoi s’était-il senti si foutrement seul ? Comme il l’était à présent.
Le visage de Furi, ses cheveux, son corps svelte et ferme jaillirent soudain dans l’esprit de Syn. Encore… Merde ! Il était marié à sa carrière depuis bien trop longtemps. Il avait dédié chaque journée à devenir le meilleur, afin de pouvoir gravir les échelons, et finalement dépasser l’héritage laissé par son père. Maintenant qu’il était satisfait avec le statut de son travail, il sentait qu’il lui manquait quelque chose. C’était comme si son job avait cessé de combler ses besoins. Le respect avec lequel les officiers en uniforme, les détectives et même les autres agences le traitaient lui procurait un sentiment de supériorité. Peut-être qu’il ne devrait pas ressentir ça, mais… allez… Qui ne serait pas satisfait de cette sensation ?
Il était pratiquement sept heures du matin, la plupart des gens étaient avec leur moitié, lisant le journal en prenant un café, mangeant du bacon et des œufs avant de partir avec un baiser et un “passe une bonne journée”. Syn grogna et mordit dans son beignet. Bordel, même son petit-déjeuner était déprimant.
God et Day s’étaient certainement assurés désormais de commencer tous les deux leur journée avec un sourire aux lèvres. Cela devait être plutôt cool de travailler avec votre partenaire, qui surveillait vos arrières pendant que vous veilliez aux siennes. D’habitude, les couples étaient assignés à différents commissariats. Syn avait entendu parler de la situation dans laquelle God et Day s’étaient retrouvés quand ils avaient opéré un raid, résultant avec Day ayant une arme pointée sur la tête par un baron de la drogue très en colère. Les négociations ne s’étaient pas bien déroulées, puisque Day n’avait plus que quelques secondes à vivre, lorsque God était intervenu. Il avait menacé de tuer les parents, enfants, petits-enfants, voisins, et quiconque était associé au caïd. Syn avait entendu, de la part de certains des policiers qui en avaient été témoins, qu’à ce moment-là, God avait ressemblé à un véritable démon. Il avait d’ailleurs demandé au criminel s’il avait rencontré le diable, parce que c’était ce qu’il deviendrait si le gangster assassinait l’homme qu’il aimait. God avait littéralement instillé la peur de Dieu dans l’esprit du truand. Il l’avait suffisamment grogné et menacé pour le faire reculer, de sorte qu’il soit à portée des tireurs d’élite. Une balle sur le côté de la tête et cela s’était terminé par une autre victoire pour God et Day.
C’était à ce moment-là que le capitaine Myers avait appris leur liaison, toutefois, il avait refusé de perdre les meilleurs éléments de son équipe des stups en faveur d’autres commissariats, alors tant que leur relation n’interférait pas avec leur boulot, God et Day étaient le seul couple qui travaillait ensemble, partenaires au travail et en dehors. Ils étaient bien plus efficaces ensemble que séparés et, malgré l’irritation de Syn concernant leurs excentricités, ils formaient un duo de choc avec qui collaborer.
Et Syn voulait ça. Bien qu’il n’ait jamais eu de réelle relation à plein temps, il savait ce qu’était l’amour. Il désirait quelqu’un qui veille sur ses arrières, auprès de qui il pourrait abaisser sa garde, afin de ne pas avoir à se contrôler tout le temps. Un partenaire qui pourrait prendre les rênes, pour que Syn puisse pleinement vivre. Bon sang ! Il secoua la tête. Cela ne lui arriverait jamais. C’était avec Rhodes qu’il avait été le plus près de connaître ces sensations, cependant celui-ci l’avait quitté lorsque Syn avait été incapable d’abandonner son contrôle. Il avait refusé de franchir cette dernière étape et de le laisser le prendre. Devait-on obligatoirement être intime pour appeler cela une relation ? Merde, il n’en savait rien. Toutefois, Rhodes l’avait cerné. C’était un flic, il comprenait donc l’implication de son travail et ce que cela entraînait. Personne ne voulait nouer de relation avec un flic qui pouvait être appelé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, sans oublier de mentionner qu’une balle pouvait le toucher n’importe quand.
Syn remarqua qu’il lui restait quelques minutes avant d’avoir à partir pour sa réunion avec Day et God. Il ouvrit son ordinateur portable et se connecta sur Amazon. Il n’était pas du genre à faire les magasins. S’il était forcé de faire des courses, il préférait, sans le moindre doute, les effectuer par internet. Il passa rapidement en revue quelques décorations d’intérieur et acheta quelques tableaux de Phoenix Peintures à attacher sur le mur du salon, et un sofa en cuir et microfibres, équipé de coussins décoratifs. Le tout lui serait livré lundi prochain. Syn imagina que s’il devait un jour avoir de la compagnie, mieux valait avoir un endroit où s’asseoir.
Syn traversa l’immense bureau ouvert qui abritait l’équipe. C’était un espace très grand, majoritairement entouré de baies vitrées qui allaient du sol au plafond avec des stores du côté intérieur, au cas où ils auraient besoin d’un peu d’intimité vis-à-vis du reste du commissariat. Sur la porte, on pouvait lire : Force Spéciale d’Intervention – Narcotiques et en-dessous, se trouvaient les noms des lieutenants Cashel Godfrey, Leonidis Day et du sergent Corbin Sydney. L’intérieur du bureau était spacieux et confortable. Les fenêtres du côté opposé donnaient sur la façade Est du bâtiment. Day était le seul responsable des quelques plantes et éléments de décor installés sur les murs avec leurs récompenses et citations. Cela incluait un immense tableau contenant des photos de God et Day serrant la main du Chef de la Police, du Maire et de nombreux clichés de leur équipe.
Tous les trois possédaient de larges fauteuils à dossier installés devant leurs bureaux démesurés. Ils étaient nécessaires pour contenir leurs bannettes qui débordaient toujours, et laisser assez de place pour ouvrir des dossiers. Les autres membres de l’équipe avaient leurs bureaux juste à côté du leur, dans l’espace ouvert principal. À l’autre extrémité se trouvaient une table de conférence et un grand tableau blanc effaçable. Le mur derrière ladite table s’était transformé en cloison d’affichage, où de nombreux documents et clichés anthropométriques étaient épinglés sur toute sa longueur. D’ici quelques heures, la pièce serait remplie par leur équipe. Ils s’assiéraient à la table, ou sur les canapés et chaises qui équipaient la salle.
Il était désormais presque huit heures. Syn leva les yeux du dossier qu’il lisait, voyant God et Day entrer dans le commissariat. Était-ce son imagination ou toutes les têtes se tournaient-elles vers eux quand ils pénétraient dans une pièce ? Il les observa marcher côte à côte et se retrouva à s’interroger sur les aspects plus privés de leur relation. C’était probablement fort peu inapproprié, cependant, il ne pouvait pas s’en empêcher. Syn trouvait que God ressemblait à quelqu’un qui semblait être une bête au lit. Un homme qui tirait vos cheveux, vous jetait contre un mur et vous baisait jusqu’à vous rendre inconscient. Ou, au contraire, était-il du genre à faire des câlins ? Pfff ! Ouais, sûrement ! Day était-il aussi ironique à la maison qu’il l’était en présence d’autres personnes ? S’enlaçaient-ils pour regarder un film sur le câble ? Bon sang, qui cuisinait et qui sortait la poubelle ? Il secoua la tête. Il pensait à des conneries qui n’avaient strictement rien à voir avec lui.
— Que se passe-t-il, Syn ? demanda Day, se laissant tomber sur son fauteuil, posant un énorme thermos de café sur son bureau.
— J’ai reçu les rapports de Gemson et Boyd, répondit-il.
Il posa ses bottes sur le coin de son bureau tandis qu’il s’inclinait dans son siège, passant en revue le contenu du dossier.
— Comment sont-ils ? intervint God.
Il retira son manteau en cuir et le drapa sur le dossier de son fauteuil.
— Détaillés. Bons, résuma-t-il.
Il reposa ses pieds à terre et adressa un regard acéré à God.
Celui-ci secoua la tête, sachant déjà ce que Syn désirait. Il voulait tout connaître des éléments nouveaux concernant cette affaire. Et maintenant !
— Très bien, Syn. Décompresse. Nous n’avons pas encore l’habitude de ta présence, cependant nous savons ce que cela signifie d’avoir un sergent dans notre groupe. Tu es celui à qui l’équipe se réfère, et tu as autant d’ordres à donner que nous et le droit d’avoir les informations afin de prendre des décisions, expliqua Day en gloussant, tandis que God l’observait. Après tout, Tito était aussi important que n’importe lequel des autres Jackson.
Syn lui lança un crayon, qu’il esquiva aisément. Il ne put s’empêcher de rire à la comparaison foireuse de Day.
— Je ne suis pas ce foutu Tito, tête de con !
— Nous allons discuter de cette affaire avant l’arrivée des gars, cependant, je dois aller à la cuisine afin de me faire du café. Bébé, je te ramène un muffin, indiqua Day, se dirigeant vers la porte.
— Je suis au moins Jermaine, grommela Syn.
God lui adressa un sourire et Day lança, par-dessus son épaule :
— Tu peux toujours rêver !
Ils étudiaient tous le tableau blanc disséquant leur affaire de drogue/meurtre. Syn s’efforça de soutenir le rythme. Ses lieutenants avaient finalement reconnu son rôle au sein de cette équipe et c’était tout ce qu’il voulait. Il comprenait que ce n’était pas évident de transformer un duo de longue date en un trio. Toutefois, ils n’en formaient pas vraiment un. Ils avaient une vingtaine de détectives d’exception qui constituaient ce détachement spécial et il était évident qu’ils avaient tous des rôles prépondérants à jouer afin de faire de leur unité, un groupe efficace, rencontrant le succès.
Dire que cette affaire était merdique serait un euphémisme. À l’heure actuelle, ils avaient trois cadavres sur les bras. Ces trois corps avaient subi le même modus operandi, raison pour laquelle God et Day avaient répondu à l’appel concernant le meurtre d’hier soir. C’était tous de beaux hommes retrouvés dans des zones isolées, frappés avant de recevoir une balle dans la tête ou la poitrine. Ils venaient de réceptionner le rapport du médecin légiste qui avait confirmé que l’acteur de porno, Jake Starman, comme les trois autres victimes possédait des traces d’ecstasy combinées avec du Rohypnol dans le corps, ce qui le rendait pratiquement sans défense, facile à être maîtrisé par quelqu’un de beaucoup plus petit, peut-être une femme. Ils détenaient enfin un suspect.
Syn aperçut un homme de grande taille, aux cheveux noirs, entrer dans le bureau, avec un sac étiqueté “preuve” à la main. Son costume était net et taillé sur mesure. Dire qu’il était beau était très loin de la vérité. Il était pratiquement aussi haut que God, et bâti comme une armoire à glace. Syn se fustigea intérieurement pour remarquer autant de gars dernièrement. L’individu parla à Ronowski avant de saluer n’importe qui d’autre dans la pièce.
— Salut, bébé. Qu’as-tu ? demanda Ronowski.
Bébé ?
Syn se tourna et fixa Day qui souriait devant son regard incrédule.
Son lieutenant guida le visiteur vers Syn qui eut alors une bonne vue du magnifique spécimen. Bon sang, il sentait délicieusement bon également. Day pointa un doigt vers lui.
— Détective Johnson. Voici le sergent Corbin Sydney. Il est arrivé la semaine dernière. Sacré bon policier. Syn, voici le détective Johnson, notre expert en balistique. Vous devriez faire connaissance, car tu travailleras avec lui chaque fois que nous aurons besoin de faire expertiser des armes. Il ne fait pas officiellement partie de notre équipe. Au lieu de ça, il a choisi de répandre sa sagesse auprès de plusieurs commissariats, l’informa Day.
Syn se leva et lui tendit la main. Johnson adressa à Day un coup de coude espiègle avant d’adresser un sourire chaleureux à Syn et de prendre sa main.
— Enchanté de vous connaître, Sydney. Ro m’a raconté quelques faits intéressants à votre sujet. J’apprécie quiconque tient tête à Godfrey.
God leva les yeux de son dossier juste assez longtemps pour adresser un doigt d’honneur à Johnson avant de reprendre sa lecture.
Syn appréciait déjà ce Johnson. Cependant, il n’avait aucune idée que Ronowski se répandait en louanges à son égard.
— Enchanté de vous rencontrer également, répondit-il.
Après quelques plaisanteries, Johnson alla droit au but.
— La balistique a relié la balle qui a été extraite du corps de votre victime avec le 9 mm que nous avons récupéré sur votre suspect d’hier soir. Il contient un chargeur de quinze balles dont trois se trouvaient encore dedans. La mauvaise nouvelle, c’est que les balles retirées des corps des trois précédentes victimes ne proviennent pas de cette arme.
— Bordel ! C’était évident que cela ne pouvait pas être aussi facile, grommela God.
— Elle possède peut-être plusieurs artilleries, nous verrons ce que nous trouverons lors de la perquisition de son domicile. L’avez-vous déjà interrogée ? demanda Johnson.
— Non, nous la laissons mariner, répondit Day.
Johnson leur apprit quelques détails supplémentaires avant de déposer son sac et de se diriger vers la porte. Ronowski alla le retrouver. Syn fit semblant de ne pas les regarder.
— Tu rentreras tard à la maison ? lança Johnson à Ronowski.
— J’espère que non, nous verrons bien.
Qu’il soit damné si Johnson ne s’inclina pas là, devant plus de vingt hommes, pour embrasser les lèvres de Ronoswki.
— À tout à l’heure, alors.
La voix profonde de Johnson provoqua un fourmillement dans le corps de Syn, tandis qu’il remarquait une lueur amoureuse traverser les yeux de Ro avant qu’il revienne vers eux.
Bordel ! Ce grand fils de pute est gay aussi… et, de surcroît, il baise Ronowski.
La partie intéressante de toute cette scène c’est que tout le monde semblait s’en contrefiche. Cette équipe formait réellement un bon groupe, où la bigoterie et les jugements à l’emporte-pièce n’avaient pas leur place entre eux. Syn croyait fermement que ce n’était pas un accident du destin. Personne n’avait le temps pour ce genre de conneries de toute façon. Ces hommes gardaient les choses en perspective. Il y avait des gens innocents dans leur ville qui se faisaient tuer par une mauvaise came et personne n’avait de temps ni d’énergie à perdre pour juger qui aimait qui.
La réunion se termina trois heures plus tard avec Syn donnant aux hommes leurs assignations pour la journée. Certains allaient retourner sur la scène de crime, d’autres feraient des recherches sur cette drogue coupée, certains iraient chercher, grâce aux preuves, un mandat de perquisition pour le domicile de leur suspect, et les derniers allaient contacter pour interrogatoire le premier round d’acteurs de chez Illustra. Après avoir répondu aux questions de ses subalternes, Syn se dirigea vers l’étage inférieur.