Syn déverrouilla sa porte et laissa Furi entrer chez lui, pour la deuxième fois de la nuit.
— Ne devrais-je pas être amené auprès du service de protection des témoins ou quelque chose comme ça, afin d’être installé dans un endroit sûr ? cracha-t-il, indigné.
Syn alluma la lampe du salon et se tourna vers Furious, lui lançant un regard qui signifiait “vraiment ?”
— Préférais-tu que je t’emmène au poste, où un flic pourra t’interroger pendant cinq heures, avant de te placer dans l’hôtel le plus pourri de la ville d’à côté ? Où un policier rivé à son bureau depuis les dix dernières années, passera tout son temps bien au chaud, assis sur son cul, pendant qu’il devra soi-disant veiller sur toi ?
Furi laissa tomber son sac sur le sol et secoua la tête.
— Je suppose que non.
— Ouais, c’est bien ce que je pensais.
Syn sourit, retirant son manteau et le drapant sur le dossier de son nouveau canapé. Il était beau, cependant il n’avait pas encore eu la chance d’en profiter. Furi recula jusqu’à ce que l’arrière de ses jambes touche le sofa. Il se laissa choir comme s’il devait supporter tout le poids du monde sur ses épaules.
Syn frotta sa nuque, grimaçant à la tension qui s’y trouvait. Il devait dire quelque chose à Furi… n’importe quoi… mais quoi ? Les gens mauvais, les crimes, les tirs d’armes à feu, les voitures cherchant à vous renverser sur la route, tout cela était normal pour lui, toutefois Furi essayait juste de vivre sa vie. Il s’assit à côté du bel homme, sa main planant au-dessus de son genou avant de la retirer pour la poser sur son épaule. Le geste se voulait réconfortant, pourtant cela ne sembla pas l’aider.
— Ça va ?
— Non, non, Syn, je ne vais pas bien. Cette folle furieuse vient juste d’essayer de me tuer, et pour quoi ? Parce que je n’ai pas voulu la baiser !
La voix de Furi augmentait à chaque nouveau mot. Il bondit du canapé et commença à arpenter le sol devant Syn, tirant sur les pointes de ses cheveux.
— Est-ce une raison pour tuer quelqu’un ? Seigneur ! Je n’ai pas essayé de la faire paraître sous un mauvais jour, je n’ai pas voulu la baiser parce que je suis gay, putain !
Syn écarquilla les yeux et tendit une main afin de l’arrêter.
— Furious, s’il te plaît, calme-toi.
L’interpellé se retourna vers lui, sa mine renfrognée altérant ses beaux traits.
— Oh, ouais. J’ai oublié pendant une seconde. Tu n’es pas gay ! Et tu ne veux sûrement pas que les voisins le pensent !
La tête de Syn se releva brusquement à sa diatribe.
— Très bien. Tu es bouleversé par ce qui vient de se passer et tu fais une projection. Je vais te laisser un peu de temps seul. Il y a des bières dans le réfrigérateur, les toilettes sont au bout du couloir. Fais comme chez toi.
Syn se tourna pour se rendre dans sa chambre. Qu’il soit damné s’il allait laisser Furi transformer ces évènements en un combat concernant le fait d’accepter ou non qui il était.
— Putain de lâche ! marmonna Furi.
Syn s’arrêta sur le seuil de sa chambre. Vient-il réellement de dire ça ? Il pivota et revint précipitamment vers le salon.
— Comment viens-tu de m’appeler ?
Les yeux de Furi s’écarquillèrent devant la rage de Syn. Il se leva lentement de son siège et contourna le canapé. L’expression apeurée qu’il arborait se transforma rapidement en colère.
— Tu veux te battre contre moi ? Me frapper, détective ?
— Quoi ?
Syn haleta devant l’absurdité de sa question. Il se positionna devant Furi et soutint son regard colérique.
— D’abord et avant tout, comment oses-tu même penser, ne serait-ce qu’une seconde, que je poserais les mains sur toi, alors que je suis en colère ? Sous prétexte que le connard que tu as choisi d’épouser le faisait, ne signifie pas que tous les hommes frappent.
Syn pointa un doigt vers son propre torse.
— Je ne suis pas un lâche, Furious. Au cas où tu l’aurais oublié, je viens juste de sauver ta putain de vie.
— Oh, non, je n’ai pas oublié, mais si, tu es le pire genre de lâche qui soit. Tu n’as pas peur de te faire tirer dessus, ni de te jeter devant deux tonnes de métal lancé à pleine vitesse, pourtant tu es effrayé à l’idée de tenir la main d’un homme en public, d’un homme que tu déclares apprécier. Tu es un dur à cuire dans ces foutues rues, cependant, tu es trop mauviette pour admettre ce que tu es vraiment.
Syn ne sut pas combien de temps il dévisagea Furi avant de faire demi-tour et de retourner dans sa chambre, claquant la porte derrière lui.
Merde ! Merde ! Merde ! Pourquoi diable ai-je dit ça ? Dès que Furi avait aperçu l’expression blessée traverser le visage de Syn, il aurait immédiatement aimé reprendre ses mots méprisants. Il était mort de trouille et faisait effectivement une projection, exactement comme il l’avait dit. Ce n’était pas de la faute de Syn si sa vie était si tordue actuellement. En fait, si le flic n’avait pas été là, il aurait à supporter ceci tout seul et honnêtement, il serait déjà mort. Syn ne faisait qu’essayer de ne pas le lâcher, contrairement à ce que son propre esprit essayait de lui faire croire. Il faisait l’effort d’être avec lui et Furi ne lui avait pas lâché la grappe. Et maintenant, il se trouvait dans son appartement, sous sa protection et il venait de l’insulter si cruellement que Syn n’avait pas pu répondre.
Il traversa le couloir et se tint devant sa porte de chambre. Il allait toquer lorsqu’il entendit le bruit de l’eau qui coulait dans la douche, et il décida de laisser tomber. Il devait partir. C’était sa propre vie merdique. Il était censé en reprendre le contrôle, alors que faisait-il en ce moment, à se cacher derrière les murs sûrs de l’appartement de Syn ? Il avait laissé cette folle furieuse le chasser de sa propre maison. Je l’emmerde ! Il saisit sa veste en cuir et son sac, puis sortit par la porte d’entrée.
Il se sentit confiant jusqu’à ce qu’il quitte le bâtiment et se retrouve dans la rue. Puis une terreur à nulle autre pareille l’envahit soudain. Il était tard et il faisait sombre, cependant les gens le bousculaient comme s’il n’était pas là, totalement inconscients de son sentiment de malaise. Il se précipitait droit dans la gueule du loup. Une personne folle avait littéralement essayé de le tuer. Au lieu de rester là où il était en sécurité, il avait décidé que c’était une bonne idée de quitter ce sanctuaire pour se remettre en danger, désarmé. Une voiture fit crisser ses pneus afin de s’arrêter, et le son lui donna envie de plonger à terre pour se mettre à couvert. Putain, qu’est-ce que je fais ? Quand il songea aux paroles de Syn “Ne laisse pas ton entêtement faire de toi une cible facile » il envisagea de remonter l’escalier. Ce ne fut pas exactement ce qu’il fit. Il prit une profonde inspiration et jeta son sac sur son épaule, lançant un coup d’œil de l’autre côté de la rue et vit cinq ou six gars réunis devant le pub de son oncle, riant. Il pensa simplement aller là-bas afin d’y passer un peu de temps, et peut-être que si son oncle n’était pas de trop mauvaise humeur, il le laisserait squatter son canapé pour quelques jours, ou jusqu’à ce qu’ils attrapent Sasha.
Furi traversa rapidement la rue et entra en trombe dans le pub. Les battements de son cœur étaient élevés et il était énervé parce que toute cette anxiété le rendait fou. Il songea brièvement à appeler Doug, cependant il lui avait indiqué qu’il essaierait de passer un peu plus de temps avec Cel, surtout qu’ils allaient bientôt devoir effectuer pas mal d’heures de travail afin d’ouvrir leur garage. Il se fraya un chemin à travers la foule, cachant son sac dans la réserve pour que son oncle ne le voie pas.
— As-tu besoin d’un peu d’aide, ma belle ? murmura-t-il à l’oreille de Candy tandis qu’elle pianotait sur la caisse enregistreuse.
Elle sursauta et le gifla sur l’épaule, pour s’être faufilé derrière elle.
— Que fais-tu ici pendant ton seul soir de repos ? demanda-t-elle, souriant tout en secouant la tête avec incrédulité.
— Je n’ai pas de vie.
Il lui lança un faux sourire.
— As-tu besoin d’un peu d’aide ?
Elle se retourna pour le dévisager, lui accordant toute son attention.
— Chéri, tu vas bien ?
Furi sentit le picotement dû à des larmes imminentes et se sentit immédiatement en colère. Comment ses émotions osaient-elles trahir sa tentative pour garder le contrôle de sa vie ? Il ne pleurerait pas sur sa situation, c’était totalement inutile. Sangloter n’améliorerait rien du tout et ce serait une pure perte d’énergie.
— Je vais bien. J’ai juste besoin d’une distraction, c’est tout.
Il haussa les épaules.
— Eh bien, fais-toi plaisir. Tu peux prendre l’autre extrémité. Shawn a dû partir pour aller chercher sa fille plus tôt, me laissant toute seule pour tenir tout le bar.
Elle roula des yeux.
— Et, bien entendu, ton bon à rien d’oncle n’a pas jugé utile de venir m’aider.
— Ouais, je n’ai pas de mal à le croire, dit Furi, tirant ses cheveux en arrière.
Il ne portait pas le tee-shirt du bar, mais il ne s’en souciait pas, il n’était là que pour aider Candy et essayer de s’occuper l’esprit afin de ne pas retourner vers le flic, habitant de l’autre côté de la rue. Celui-là même qui avait probablement dû sortir de la douche pour réaliser que son invité avait disparu.
Durant quelques heures, Furi retrouva sa routine habituelle et se perdit dans la monotonie d’avoir à prendre les commandes, de les remplir, de noter les montants sur les ardoises, de resservir, d’encaisser, d’essuyer le comptoir et de tout recommencer. Il était sûr que certains des clients réguliers avaient remarqué qu’il n’était pas aussi affable que d’habitude ce soir, mais tout le monde avait le droit d’avoir son mauvais jour. Il était presque l’heure de fermeture lorsqu’il se dirigea vers la porte de sortie pour jeter les poubelles dans la benne à ordures. La porte de son oncle était ouverte, donc il jeta un coup d’œil à l’intérieur, frappant sur le chambranle.
— Hey, Oncle. Est-ce le bon ou le mauvais moment ?
— C’est toujours le mauvais moment. Que veux-tu ? grommela son parent, ne prenant même pas la peine de lever les yeux vers lui.
— Mon appartement est fumigé, puis-je squatter ton canapé ?
Il mordilla sa lèvre inférieure.
Cette fois, son oncle le dévisagea, affichant une expression ennuyée.
— Trois jours, max, ajouta Furi.
— Peu importe. Amène juste tes produits pour le lave-linge et ta nourriture, parce que tu n’utiliseras pas les miens.
Son oncle le renvoya d’un simple geste de la main et Furi partit de bon cœur. Il détestait vraiment avoir à lui demander quoi que ce soit, malheureusement, il était toute la famille qui lui restait. Rien ne vaut la famille. Il revint vers le bar et haleta devant la large silhouette assise au comptoir. Sa poitrine se crispa à sa vue. Il est venu. Il tenta de faire marcher les muscles de ses jambes et, lentement, il reprit sa place derrière le bar.
— Euh… Candy, peux-tu prendre la commande là-bas ? demanda Furi, indiquant le visage sévère qui le fixait avec colère.
— Non, merci. Je préfère que tu t’occupes de moi, Furious.
C’était prononcé d’un ton calme, mais le regard perçant indiquait clairement que c’était un ordre.
Les yeux de Candy glissèrent de l’un à l’autre et Furi décida qu’il valait mieux la laisser en dehors de tout ça. Il avança lentement vers le bout du comptoir et se tint devant son client enragé.
— Oh, je pense que tu as beaucoup à dire à ton mari, Furious.