Il y a un an.
— Chéri, je suis à la maison. Es-tu là ?
— J’arrive ! cria Furi du second étage.
Il referma rapidement le dépliant pour l’école technique qu’il lisait et dissimula les autres documents, avant de descendre l’escalier métallique en colimaçon.
Furi trouva Patrick dans la cuisine, retirant sa cravate. Bon sang, cet homme savait comment porter un costume ! Celui que Patrick avait était noir, d’un grand créateur, et possédait de fins liserés lavande qu’il accentuait parfaitement avec une cravate légèrement pourpre. Furi se verrait, sans aucun doute possible, confier la responsabilité de dépose le costume avec lequel son mari avait voyagé, chez le teinturier avant d’avoir à le ranger dans son placard. Il ne savait pas comment il était devenu l’assistant personnel de son mari, mais c’était ainsi et, afin d’éviter tout argument, Furi ne refusait jamais les requêtes de Patrick.
— Est-ce le genre de bienvenue que tu offres à ton mari lorsqu’il revient à la maison après une semaine passée au loin ?
Patrick posa sa bouteille d’eau sur le comptoir de marbre brun et fixa Furi avec expectative.
— Tu vas juste rester là, à me dévisager depuis l’autre côté de la pièce ?
Les yeux de Patrick pouvaient vous épingler sur place d’un seul regard sévère. Furi avait trouvé cela extrêmement sexy au début, toutefois, cette époque était révolue, le regard étant devenu plus féroce qu’attirant. Les cheveux de Patrick étaient d’un noir de jais, gominés et tirés en arrière, lui rappelant Andy Garcia, sans cette ennuyeuse implantation de cheveux en “V”.
— Comment était ton vol ? demanda-t-il, s’approchant des bras musclés de Patrick.
— Long. Rien de spécial ici ?
— En fait, si.
— Qu’est-ce que c’est ?
Avant que Furi puisse révéler à Patrick ce qui était nouveau, il ramassa le dossier d’inscription à l’école de mécanique et fronçait les sourcils tandis qu’il lisait rapidement le contenu.
— C’est quoi ce bordel, Furious ?
— J’étais sur le point de…
— N’est-ce pas ce cher fainéant ?
Putain, génial ! Le jeune frère de Patrick et associé en affaires, Brenden, déboula au coin du couloir, refermant la boucle de sa ceinture. Furi ne l’avait pas entendu dans les toilettes lorsqu’il était descendu. Si cela avait été le cas, il serait peut-être resté à l’étage.
— Je ne suis pas un paresseux. As-tu vu le jardin ?
Crétin ! Non seulement, Furi avait complètement retourné le massif, mais il avait tondu l’herbe et avait planté les fleurs d’automne, sans oublier de mentionner les trois heures qu’il avait passées dans le magasin de réparation automobile. Patrick ne saurait jamais rien de cette dernière partie cependant. Furi adorait jardiner… c’était reposant. Il avait commencé à s’en occuper afin de sortir de la maison lorsque Patrick était là, et c’était rapidement devenu un passe-temps agréable. Il adorait tout ce qu’il pouvait faire en extérieur, toutefois, sa passion restait la mécanique automobile. Il n’y avait pas un seul véhicule avec des roues et un moteur qu’il ne pouvait pas réparer.
— Chéri, je t’ai posé une question.
Le regard dur de Patrick le fixait, bien que sa voix soit froide et calme. Furi craignait ce ton plus que ses cris.
Il se détourna de son ennuyeux beau-frère et fit face à son mari, remarquant immédiatement que Patrick n’appréciait pas ce qu’il avait lu dans la documentation.
— Je t’ai indiqué avant que tu partes la semaine dernière que je voulais terminer mon diplôme en mécanique automobile. C’est toujours mon rêve de posséder mon propre atelier.
Furi baissa la voix et tenta de discuter uniquement avec son mari, puisque son bâtard de beau-frère continuait de se moquer de lui.
— Tu sais que j’ai promis à mon père de le faire… de posséder mon propre garage un jour. Tout comme lui.
Patrick lança le dépliant sur la table comme si c’était de la merde.
— Et comment vas-tu payer ce genre d’études, hein ? Ces écoles coûtent une fortune.
Furi passa une main nerveuse sur le tatouage de la Harley de son père de son avant-bras et se racla la gorge.
— J’espérais que tu me prêterais l’argent et que, une fois que je commencerais à travailler, je te rembourserais… chaque dollar, ajouta-t-il pour faire bonne mesure.
Personne ne savait, en particulier son mari, que son père l’avait nommé bénéficiaire d’une assurance-vie, après lui avoir dit de “vivre son rêve”. Furi avait quatre-vingt mille dollars soigneusement cachés sur un compte au nom de son meilleur ami. Cependant, après avoir effectué un million de calculs différents, l’argent n’était pas suffisant pour ses études et son capital de départ afin d’ouvrir un magasin.
— Ouais, ben aucune chance que ça arrive, flemmard ! ricana Brenden.
— Ferme ta gueule et occupe-toi de tes affaires, Bren !
Avant que Furi puisse chercher à se protéger, Brenden avait ses mains autour de sa gorge et le poussait jusqu’à ce que son dos soit brutalement claqué contre la porte en acier du réfrigérateur.
— Tu crois que tu peux me parler de cette manière, sale petite merde ? le toisa Brenden, postillonnant partout sur lui.
Il tordit ses mains et brûla la peau autour du cou de Furi.
— Lâche-moi ! haleta Furi, essayant en vain d’éloigner les doigts épais.
Son mari et son beau-frère avaient tous deux été défenseurs dans l’équipe de football à l’université. Cela ne les gênait absolument pas d’utiliser leurs muscles et leur force contre lui, et souvent.
Brenden releva brusquement son genou, le frappant si durement au niveau de l’aine que Furi pensa que la mort valait mieux que cette douleur infernale. Brenden recula et laissa Furi choir sur le sol en granit, lui donnant un grand coup de pied à l’arrière de la tête avant de se pavaner comme s’il possédait le monde. Furi ne pouvait pas entendre ce que son mari disait parce que ses oreilles tintaient, que ses yeux étaient emplis de larmes et qu’il pensait qu’il valait mieux les garder fermés.
— Patrick, gémit-il, empoignant ses testicules, sachant que rien ne pourrait faire cesser les élancements.
— Ne te conduis pas comme un grand garçon si tu n’as pas les couilles pour le faire, chéri, répondit nonchalamment son mari.
C’est quoi ce bordel ?
— Il n’a strictement aucun droit de poser ses putains de mains sur moi, Pat. Que diable… ? Il n’a également rien à dire sur notre mariage.
La voix de Furi s’étira alors qu’il tentait de se relever, sans la moindre aide de son mari.
— Les liens du sang sont les plus forts, abruti !
Brenden haussa les épaules et poussa Furi hors de son chemin afin de pouvoir attraper une bière dans le réfrigérateur.
— Alors, je suis quoi, Pat ?
Furi fixa celui qui était son mari depuis deux ans et réalisa en cet instant qu’il n’avait pas la moindre chance. Cela avait déjà été assez mauvais quand Patrick avait commencé à lui lancer des directs du droit il y a un an, jurant chaque fois que ce serait la dernière. Désormais son frère s’en prenait également à lui ? Eh bien, merde ! Il mourait plutôt que de passer le reste de sa vie comme ça. Furi avait vingt-huit ans. Il avait encore de nombreuses années devant lui… s’il réussissait à s’en sortir à temps.
Furi ouvrit les yeux, essayant de repousser les mauvais souvenirs, et sortit de la douche, accrochant une serviette autour de sa taille fine. Putain, qu’est-ce que je vais faire ? Il devait admettre que l’argent paraissait attirant. Il pourrait l’utiliser pour payer ses livres et outils pour le semestre. Mais, bon sang… je ne peux vraiment pas me taper une poule, murmura-t-il, agitant tristement la tête. Il leur dirait demain que sa réponse était toujours “non”.
Furious se réveilla quelques minutes plus tôt afin de raser ses poils pubiens. On lui avait dit que ces dames préféraient avoir une bonne vue, claire et dégagée sur les parties génitales masculines. Tout ce que cela faisait, c’était lui donner envie de se gratter deux jours plus tard. Les gens devaient probablement croire qu’il avait des morpions, vu comment cela le démangeait parfois. Il se vêtit d’un jean et d’un tee-shirt recouvert de crânes noirs. Ce qu’il portait ne comptait pas vraiment, puisqu’il allait tout retirer de toute façon.
Furi passa cinq minutes supplémentaires à s’assurer que son uniforme d’école et ses projets récents se trouvaient bien en sécurité dans son sac à dos, avec le disque dur contenant sa présentation.
Sa passion allait aux motos, mais il aimait également les voitures. Malheureusement, lorsqu’il s’était enfui de Charlotte et avait atterri à Atlanta, il n’avait pas pensé qu’il ne trouverait pas une bonne école de mécanique spécialisée dans les motos. Georgia Piedmont Tech était bien connue pour son programme de mécanique automobile et Furi s’était empressé de s’inscrire dès que le changement de son nom avait été officiel.
Furi vérifia que le verrou de sa porte était bien enclenché et monta les quelques marches menant au trottoir. Il aperçut sa propriétaire, Madame Jones, penchée sur le petit massif de fleurs et il la salua en passant. Elle agita une petite main décharnée, souriant gentiment. Il se fit une note mentale de tondre le gazon pour elle ce week-end. Elle avait dû rentrer après qu’il se soit endormi la veille, probablement afin de vérifier son intérieur. Il espérait qu’elle retournerait très vite chez sa fille.
Il arriva à l’arrêt du bus numéro 6 juste avant qu’il passe. Il s’installa pour la bonne heure et demie de trajet jusqu’à Peachtree City. Bien entendu, s’il avait une voiture, le voyage prendrait la moitié du temps, mais Furi avait savamment planifié tout son avenir et cela requérait toutes ses économies et celles de Doug pour parvenir à ses fins.
— Hey, viens ici, mon beau, je me doutais que tu allais prendre le bus et j’ai pensé que je devais t’attendre ici pour te conduire jusqu’au studio.
Furi souriait d’une oreille à l’autre alors qu’il retirait ses écouteurs et jetait ses bras autour de son meilleur ami. S’ils tournaient tous les deux le même jour, en général, Doug le retrouvait à l’arrêt de bus dans son tout nouveau SUV Kia Sportage afin qu’il n’ait pas à faire à pied les derniers kilomètres pour arriver au studio.
Furi déposa son sac sur la banquette arrière et grimpa à l’avant, attachant rapidement sa ceinture de sécurité tout en écoutant, horrifié, le bruit qui provenait des haut-parleurs. La musique et les basses qui jaillissaient dans l’habitacle étaient assourdissantes.
— Putain, qu’est-ce que tu écoutes, Doug ?
Celui-ci le dévisagea, ses yeux noisette brillant d’amusement.
— Quoi ? Tu n’aimes pas le rap ? Oh, allez… Tout le monde sait qui c’est. Il a gagné quelque chose comme une tonne de récompenses. C’est Ice Cube !
— Eh bien, ses paroles semblent plutôt mitigées. S’il te plaît, éteins ça, ou du moins, baisse le son.
— C’est tous les remerciements que j’obtiens pour t’avoir évité de courir encore deux kilomètres ?
— Je préférerais encore parader en string et en claquettes avec un Chihuahua mordant mes chevilles qu’écouter cette merde ne serait-ce qu’un mètre de plus, déclara Furi en riant.
Doug éjecta le CD, un doux air de rock remplissant désormais le petit espace.
— Mieux ?
— Beaucoup !
— Alors, j’ai entendu dire que tu allais devoir tenir la distance aujourd’hui ?
Doug haussa un sourcil dans sa direction.
— Ils ont changé ton solo pour une baise avec Sasha Pain. Mon pote, pourquoi ne m’as-tu rien dit ?
— C’est quoi ce bordel ? Qui a dit ça ?
Furi serra les dents.
— Elle envoie des posts partout sur Facebook à ce sujet. Vu que tu n’es pas sur les réseaux sociaux pour le réfuter, tout le monde devient fou à ce sujet.
Doug se gara dans l’un des emplacements vides du parking.
Furi jeta un coup d’œil à tous les véhicules.
— Bon sang, il y a un sacré nombre de prises de vues aujourd’hui.
— En fait, non, il n’y en a aucune. Tout le monde est là pour te voir faire.
Doug frotta une main sur la peau lisse couleur caramel de ses joues, léchant son petit doigt avant de le passer sur ses sourcils noirs. Il était métis, sa peau était merveilleusement bronzée et sans défaut, ses cheveux étaient juste assez longs pour les hérisser. Il ouvrit sa portière et le regarda par-dessus le capot tandis que Furi et lui sortaient du véhicule.
— Tu ne veux pas le faire, n’est-ce pas ?
Doug avait l’air aussi peiné que Furi l’était.
— Je savais que quelque chose clochait là-dedans.
— Je n’ai jamais dit que je le ferai, mec. Je ne peux pas baiser de femme, Doug. Oh, Seigneur. Surtout pas, Sasha ! Bordel !
Furi passa une main dans ses cheveux et tira sur les pointes.
— Merde ! hurla-t-il.
Il réalisait maintenant qu’il aurait dû répondre à l’e-mail de la veille. Mack avait dû penser que son silence signifiait qu’il acceptait. Et maintenant, tout le monde était là afin de le regarder pilonner une des femmes les plus vulgaires que Furi ait jamais vues. Toute la vie de cette femme se résumait à baiser. Si elle ne le faisait pas sur l’écran, alors elle était dans la voiture de quelqu’un, un club, une salle de repos, sur la plage, n’importe où. Il ressentit soudain une brusque envie de vomir.
— Hey, Furious. Respire, mec… Merde !
La forte main calleuse de Doug serrait son épaule tandis qu’il se penchait contre la voiture.
Tout son monde s’était mis à tourner, comme s’il était sur des montagnes russes d’enfer dans un parc d’attractions et que le technicien – dans le cas présent, Mack – refusait de le laisser descendre.
— Cela n’en vaut pas la peine. Tu ne vas pas risquer ta santé mentale, mec. On dirait que tu es à deux secondes de devenir fou à lier. Tu n’es pas obligé de faire ça, tu sais. Ton contrat concerne des solos, alors tu t’y tiens, d’accord ? Il ne peut pas te forcer.
— Je sais, murmura Furi. Mais je suis foutrement certain d’avoir besoin de ce pognon, mec. Je dois encore acheter des livres et des outils pour ce semestre. Je refuse d’utiliser mes économies. Je serai diplômé à la fin du semestre, et nous sommes tout prêts d’ouvrir ce putain de garage, Doug. Encore quelques semaines et nous pourrons l’inaugurer.
Doug avait une riche petite amie qui le couvrait de cadeaux tous plus chers les uns que les autres, cependant, elle refusait de lui donner de l’argent. Sans oublier de mentionner que les voitures et l’appartement étaient tous à son nom à elle. Il devait encore travailler pour avoir de l’argent de poche. Doug avait déjà obtenu un diplôme de mécanicien et travaillait à plein temps chez un revendeur de Chevrolet, toutefois, il avait toujours rêvé de posséder son propre magasin, spécialisé dans la restauration de voitures de collection. Il s’était lancé dans les films pornos afin d’atteindre plus vite leur objectif financier et Furi appréciait le dévouement de son meilleur ami.
— Mon pote, prends l’argent dans nos économies et achète tes trucs d’école. Je ferai quelques scènes supplémentaires ce mois-ci afin de couvrir le tout.
— Je ne peux pas te demander ça, Doug. Ce ne serait pas juste. Cinquante/cinquante, tout du long, tu te souviens ?
Doug le prit dans ses bras.
— Tu ne demandes rien. Je te fais cette proposition. D’ailleurs, il ne s’agit que de baiser. Deux ou trois scènes de plus, ce n’est pas grand-chose.
Doug recula et retint Furi par le cou, plongeant dans ses yeux.
— Surtout, si cela signifie, sauvegarder la santé mentale de mon meilleur ami.
Furi l’étreignit de toutes ses forces. Personne n’avait jamais rien sacrifié pour lui. Pas depuis le décès de son père. Et maintenant, il avait un véritable ami désireux de baiser des étrangères sur l’écran, juste pour qu’il n’ait pas à le faire. Eh bien, bordel…
— Je t’aime, mec. Merde… Merci, Doug.
— Je le sais, petite fille sensible. Garde ta vertu intacte.
Le petit rire de Doug souleva les cheveux de Furi tandis qu’ils restaient ainsi quelques secondes de plus.
— Je t’aime aussi, mon pote.
Ils s’écartèrent et se tournèrent dans des directions opposées, alors que les deux hommes essuyaient discrètement leurs yeux.
— Allons dire à ces détraqués sexuels qu’ils peuvent prendre leur pop-corn, leurs cacahuètes, et retourner dans leurs putains de baraques, le show est annulé.
Doug passa son bras autour du cou de Furi et lui fit traverser le parking avant de le faire entrer dans le petit bâtiment.